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Cartes blanches
Notre sélection
Flo Kennedy, portrait d’une féministe ...
Centre audiovisuel Simone de Beauvoir
1982
Carole Roussopoulos et Ioana Wieder
Flo Kennedy, portrait d’une féministe américaine
Notre sélection
Fine
Cinémathèque de Bretagne
1973
Jo Potier
Fine
Notre sélection
Cinq bobonnes à la une
CICLIC Centre-Val de Loire
1985
Robert Parlange
Cinq bobonnes à la une
Notre sélection
1er Congrès de l'Union des Femmes ...
Ciné-Archives, fonds audiovisuel du PCF et du mouvement ouvrier
1945
Anonyme
1er Congrès de l'Union des Femmes Françaises
Notre sélection
Brunoy - Entre scholistes - Mlle Marion
Cinéam - Mémoire filmique d'Île de France
1930
Henry Debrye
Brunoy - Entre scholistes - Mlle Marion
Notre sélection
Les Catherinettes usines Lumière
Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain
1951
Inconnu
Les Catherinettes usines Lumière
Notre sélection
Vacances Saintes-Marie-de-la-Mer, ...
Cinémathèque de Saint-Etienne
1973
Odile How Shing Koy
Vacances Saintes-Marie-de-la-Mer, juillet 1973
Notre sélection
L'équipe féminine du Stade de Reims en ...
Image'Est - Pôle régional de l'image en Grand Est
1972
Pierre Geoffroy
L'équipe féminine du Stade de Reims en Espagne
Notre sélection
Aimée Kleinknecht née Marchal
MIRA
1954
Jean Kleinknecht
Aimée Kleinknecht née Marchal
Notre sélection
La Journée de maman
Normandie Images
1960
Martial Debros
La Journée de maman
Notre sélection
Une Femme
Archipop
1976-1978
Roger Minet
Une Femme

Carte blanche "Les femmes du cinéma amateur, institutionnel et militant", par Teresa Castro, maîtresse de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles à l’Université Sorbonne Nouvelle

Plonger dans les archives du cinéma amateur, c’est rencontrer une multitude de femmes. Des femmes de différentes origines et classes sociales : Arlette, la fille pétillante de l’ingénieur Pathé Georges Moreau, qui danse le Charleston dans une cabine sur la plage de Noirmoutier (Arlette danse le Charleston dans la cabine sur la plage de Noirmoutier, 1926, Cinéam) ; Fine, travailleuse de la mer (Fine, Jo et Yvon Potier, 1973, CDB). Des femmes en groupe, au pluriel, qui travaillent, manifestent, jouent au rugby, au basket et au foot (L’équipe féminine du Stade de Reims en Espagne, Pierre Geoffroy, 1972, Image’Est). Ouvrières, paysannes, agricultrices, dactylos, ménagères, prostituées. Des femmes qui rient et s’amusent ensemble, comme les ouvrières de l’usine Lumière (Les Catherinettes des Usines Lumière, Inconnu, 1950, CPSA). Des femmes au singulier, remarquées par leurs actions et leurs paroles, tel Flo Kennedy, militante féministe afro-américaine (Flo Kennedy, portrait d’une féministe américaine, Carole Roussopoulos, 1982, CaSdB). Des femmes dont le statut d’épouses, de mères ou de filles d’un filmeur désirant ou affectueux leur garantit l’enregistrement de traces fugaces de leurs vies. La femme de Roger Minet (Une Femme, 1977, Archipop), la mère de Jean Kleinknecht (Aimée Kleinknecht née Marchal, 1950-1966, MIRA), la fille d’Henry Debrie (Entre Scholistes, 1930, Cinéam). Des femmes reconnues dans leur temps, si souvent recouvertes ensuite par les sables de l’oubli, comme la joueuse de tennis Simonne Matthieu (Simonne Mathieu contre Henri Cochet au tennis club de Béziers, Ralph Laclôtre, 1932, MIRA). Mais aussi des femmes dont tout ce qu’on saura d’elles se loge dans les regards, les gestes et les sourires que l’on aperçoit dans ces films.

Comme en témoigne la sélection de films réalisée par le réseau Diazinteregio, plonger dans les archives du cinéma amateur, c’est parcourir des vastes pans de l’histoire des femmes en France au XXème siècle. Vie quotidienne, travail, voyage, politique, sexualité, santé, tout y est, même si des zones d’ombre persistent toujours. En regardant ces images, la spectatrice et le spectateur sont confrontés aux particularités et enjeux de l’histoire des femmes, dont le bloc de représentations stéréotypées qui les recouvrent. Sois belle et tais-toi !, comme dans le film de Delphine Seyrig (1976, CaSdB). L’histoire des femmes se heurte à cette tension entre prolifération d’images et de discours sur les femmes et le manque d’informations concrètes et circonstanciées sur ces mêmes femmes. Mais ces films nous invitent également à nous interroger sur les histoires du cinéma lui-même. Mises à mal par ce cinéma autre qu’est le cinéma amateur, leur écriture est loin d’être une affaire d’universitaires : archivistes, programmateurs, artistes, cinéastes et spectateurs y participent également.

Le cinéma amateur est une source précieuse pour étudier les transformations tout au long du XXème siècle de ce qu’on appelle la « condition féminine ». Dès la fin des années 1920, on trouve des films attestant la présence des femmes dans le monde du travail, en particulier dans l’industrie, où elles constituent une partie importante et disciplinée de la masse salariale. Elles y assurent des tâches précises, comme le bobinage, le tricotage et la confection d’articles textiles (Les établissements Lévy à Saint Max, Pierre Claudin et Charles-André Doley, 1929, Image’Est), le garnissage de chapeaux en feutre (L’industrie du chapeau, Max Dianville, 1930, CSE), ou le brossage et mise en boîte de thons (Travail de la sardine et du thon, Jehan Courtin, 1942, CDB). Si dans Les Catherinettes des Usines Lumière ce qui est en jeu est un magnifique moment de camaraderie entre ouvrières – ainsi qu’un rappel sur le conservatisme de l’après-guerre en matière de rôles sexuels et de sexualité –, le film nous rappelle également que les femmes constituent depuis sa création le gros des employés de la célèbre usine lyonnaise. On ne sait pas qui a tourné ces images réalisées à la caméra portée et au cadre instable. Quelques plans sont au ralenti, comme si on avait appuyé par mégarde sur le mauvais bouton. Faut-il assumer, comme on le fait presque toujours, que derrière la catégorie « anonyme » se cache un opérateur ? Pourquoi pas une opératrice, improvisée en ce jour de fête ? Une femme qui promène tant bien que mal parmi ses camarades une caméra guillerette et complice ? Combien de films amateurs supposément tournés par des pères de famille n’ont pas, en réalité, été réalisés par leurs femmes ? Quid de leurs autres contributions – la fabrication de cartons, le montage des films ?

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pratiques amateurs et militantes témoignent de l’évolution des droits des femmes et des mouvements féministes. Dans Jour de vote à Thaon-les-Vosges (Lucien Perrot, vers 1946, Image’Est), une femme glisse avec fierté un bulletin de vote dans les urnes ; dans Manifestation des ménagères féroises (Pierre Lebrun, 1946, Archipop), les ménagères font grève. La bande qui documente cet événement transgressif se fait interdire par la gendarmerie. La manifestation est sans doute liée à l’essor de l’Union des Femmes Françaises (UFF). Comptant alors plus d’un million d’adhérentes, l’organisation regroupe un ensemble de comités féminins encadrés par des militantes communistes (et ayant été très actif dans la Résistance). L’UFF organise son premier congrès en juin 1945 : un film commenté par les comédiennes Cécile Didier et Renée Simonot en rend compte (1er Congrès des Femmes Françaises, 1945, Ciné-Archives). Il fut monté par Simone Dauvillier. Nous ne savons toujours presque rien sur les nombreuses monteuses qui depuis les années 1920 ont exercé leur métier en France. Les femmes du cinéma, soit-il amateur ou professionnel, ont souvent été effacées des récits.

Aux années 1930-1940 – qui voient des femmes jouer à la barette à Saint-Etienne (Ciné-Journal de Saint-Etienne 1930, Office du cinéma éducateur de Saint-Etienne, Eugène Reboul, 1930, CSE) et qui assistent au sacre de Simonne Matthieu (dont le nom fut donné en 2017 au 3ème court principal de Roland Garros) – succède une décennie particulièrement conservatrice en ce qui concerne les stéréotypes. L’histoire des femmes est scandée par des avancées et des reculs. Certes, elles continuent de faire du sport et à braver des interdits, mais les constructions de genre s’articulent désormais aux injonctions sexistes de la société de consommation. Un exemple est le film publicitaire qu’un certain Jean Suberbie réalise pour différents magasins de Guingamp, Rencontre (1956, CDB). Si Yvonne regarde les machines à écrire pour « taper vite et mieux », elle semble destinée à une vie de femme au foyer. En « ménagère avisée », elle cherche les articles qui « font du ménage un plaisir », caressant réfrigérateurs et machines à laver. Saisie parfois avec amour et tendresse – voir La journée de maman (Martial Debros, 1960, Mémoire Normandie) –, la figure de la femme au foyer est présente dans de nombreux films amateurs, et cela jusqu’à très tard. Ce dernier film nous donne à voir le travail domestique, ce labeur invisibilisé et « naturel » des femmes, pour lequel elles ne perçoivent pas de salaires. « Ils disent que c’est de l’amour, nous disons que c’est du travail non payé », comme l’écrit Silvia Federici. Dans Des femmes du Haut-Quercy (1975, CaSdB), Catherine Lahourcade et Syn Guérin montrent bien comment le travail des femmes (âgées) des agriculteurs et des éleveurs est le pilier de l’économie domestique. Aux prises avec les réalités et les préjugés de leur temps, les films amateurs (et les films de famille au premier chef) saisissent avec une force accrue les constructions sexuées, la hiérarchie des sexes, le sexisme. Autrement dit, la prévalence sociale des hommes.

Il faudra attendre les années 1970 pour que l’affirmation du mouvement de libération des femmes et, avec lui, des débats féministes, vienne jeter un pavé dans la mare. Le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir en particulier conserve des images uniques de ces années de lutte, d’action et de révolte. Ces images sont d’autant plus précieuses que la transmission des mémoires des luttes féministes est aujourd’hui un enjeu de taille. On milite alors pour le droit à la contraception et à l’avortement, contre différentes formes d’oppression et de misogynie. Dans la foulée de mai 68, les grèves se multiplient, comme chez Lip, à Besançon (Monique – Lip I, Carole Roussopoulos, 1973, CaSdB). Les féministes se mobilisent à l’international : on se bat pour des écrivaines portugaises, des militantes brésiliennes, des mères et des sœurs espagnoles. On rencontre des figures importantes du féminisme et du mouvement des droits civiques nord-américains : Kathleen Cleaver, Flo Kennedy, Ti-Grace Atkison, Kate Millett. Surtout, les femmes s’emparent des moyens de production, se forment et réalisent désormais elles-mêmes les films portant leurs combats. Les collectifs vidéos se multiplient : en prenant la caméra, les femmes sortent du statut de simple représentation pour s’approprier leurs images. Elles s’affranchissent du silence imposé par l’ordre symbolique. À Lyon, les prostituées qui occupent une église ont, enfin, le droit à la parole (Les Prostituées de Lyon parlent, Carole Roussopoulos, 1975, CaSdB). En Bretagne, un groupe de femmes de Quimper, le planning familial du Finistère et l’Atelier de création audiovisuelle de Saint-Cadou discutent ouvertement de leurs corps et s’attaquent au pouvoir médical (Clito va bien, Groupe Femmes, 1979, CDB). Les amateurs se mettent au diapason, tout en gardant leur ambiguïté : en 1985, cinq femmes s’expriment sur leurs situations personnelles dans Cinq bobonnes à la une (Robert Parlange, 1985, CICLIC).                     

La question des autrices n’est pas sans importance. Pour ce qui est du cinéma amateur, les femmes ont souvent été filmées par des hommes. Mais il n’a pas fallu attendre les mouvements féministes des années 1970 pour qu’elles s’emparent des caméras. Peut-être plus facilement que dans le cadre du cinéma professionnel et institutionnel, des amatrices issues des classes moyennes aisées tournent leur regard vers le monde, filmant leurs vacances (Pornichet 1930-1932, Odette Guilloux, CDB), réalisant des portraits quasi-ethnographiques de lieux (Couture-Boussey, Yvette Ripplinger, 1952, Mémoire Normandie), voire se mettant en scène devant la caméra (Marcelle Verelle en Vacances, 1957, Image’Est). Comme en témoigne ce dernier film, elles ne questionnent pas nécessairement les codes culturels genrés ; elles démontrent, au passage, une envie de « faire pro » commune à de nombreux amateurs. Sans le savoir, elles s’attaquent au partage inégale des traces qui hante l’histoire des femmes. Elles filment leur amitié, voire la sororité (Vacances Sainte-Marie-de-la-Mer, Odile How Shing Koy, 1973, CSE). Équipées de leurs caméras Super-8 et vidéo, elles se lancent dans de multiples combats, comme celui qui croise féminisme, désarmement nucléaire et écologie (Marche des femmes pour la paix de Copenhague à Paris en 1981, Solange Fernex, 1981, MIRA).  

Facilitée par leur numérisation et mise à disposition, l’émergence de ces sources nouvelles nous invite à imaginer des histoires renouvelées, questionnant les récits dominants et, surtout, interrogeant de nombreux aspects de la vie des femmes et de leur contribution au cinéma. Moins absentes qu’on ne le soupçonne, elles ont toujours été présentes. L’écriture de l’histoire peut être un travail de soin : une façon de réparer, d’attirer l’attention, de prendre conscience. Tout cela sans renoncer à la rigueur, à la méticulosité, à la complexité, à la réflexivité et, surtout, à l’imagination. C’est à quoi nous invite cette sélection de films.

Diaz Interegio

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